11 juin 2014

Entre fer et jardins...

Avec Irina , ma  jumelle ukrainienne , fille de Kryvyï Rih et femme des mines …
Avec Helena , prof amoureuse de sa ville,  fille de mineurs…

Dans cette ville aussi déroutante que touchante et si pauvre le plus souvent , le mois de juin semble rendre la vie plus douce, à défaut de rendre le sourire à tous . 600 000 personnes vivent dans cette agglomération en forme de corne tordue (son nom) . Une ville devenue imprononçable depuis l’abandon de son orthographe classique et russe de Krivoy Rog (Кривой Рогpour une écriture ukrainienne Kryvyï Rih (Кривий Ріг)
Cette ville anormalement allongée ne respire ni lexplosion économique ni la santé , ni la joie . Et pourtant les gens y sont d'une ouverture , d'une générosité et d'une curiosité communicative ...Je me disait à Kiev qu'un peuple qui aime autant les fleurs et le chocolat ne pouvait qu'être sympathique, pirouette pour dire que j'ai découvert dans ce pays des gens d'une extrême douceur et fierté . Jamais personne ne se plaint ...toujours on est prêt à vous aider , à vous parler ...

Et puis il y a ces potagers. Des jardins partout , absolument partout . Ils colorient le paysage et lhumanise ; les jardins et potagers posés là où c’est possible , dès que cest possible . Et personne , ni enfant , ni ado , ni même les chiens ne songeraient à les piétiner ou les piller. On a même le droit accepté de tous de se servir dans tout ce qui dépasse ou tombe sur la voie publique !  Un mètre carré au pied d’un lampadaire rouillé , une pente devant un garage abandonné, trois rangées de fraises à l'ombre d'un abri de bus décrépi et graffité … Des femmes le plus souvent , et quelques hommes , se courbent dans ces indispensables carrés de cultures. Plus ou moins bien entretenu ou fourni , un potager c'est un espace de détente , la première datcha . Mais c'est aussi une nécessité pour améliorer l’assiette des retraités et des plus pauvres …et plus rarement un loisir pour quelques défenseurs du manger bio …

La ville est faite de minerais et de vert , de rouille et de fleurs . Au bord des grands axes , les bouleaux , châtaigniers et peupliers sont gigantesques. Et dans les rues les mûriers blancs croulent sous le poids de leurs fruits. Les enfants les grappillent en passant. Ce fruit du mûrier blanc je le découvre avec Hélena , prof de langues à l’université nationale . Le mullberry en anglais , je ne m’en lasse pas !  Il y a le goût de bonbon,   la chaleur de cette petite mûre blanche violacée , mais surtout  le plaisir de tendre les bras dans un arbre pour se régaler ! Le fruit est blanc au départ , un peu ferme , puis il se ramollit rosit et violace et c’est là qu’on doit le cueillir , car il est alors gorgé de jus et sucré … 
Je suis surprise d'apprendre que c'est le fameux mûrier qui abritent les fameux vers . La soie ne fait pas bon ménage avec les minerais sans doute car  elle n'est pas exploitée ici et pourtant certains arbres sont très vieux et énormes ! Il y a plein de sortes de mûriers à Krivoy Rog , mais aussi des cerisiers , des cassis presque mûrs en cette mi juin et des framboisiers dont on devine qu’il feront bientôt d’énormes pots de confiture …Sur les trottoirs de la ville des femmes et des enfants vendent ces fruits rouges pour quelques centimes d’euros . Les viandes sont souvent accompagnées de sauce au fruits rouges ! Je n'oublierai pas de sitôt  la saveur d'une côtelette de porc grillée à la sauce aux griottes ! 

Le long de l’Ingoulets , avec Helena un soir de balade , on dîne de fruits cueillis ainsi . Et sous un arbre particulièrement bien exposé au pied d’une brillante église orthodoxe une baboushka se régale aussi et m’invite à plonger dedans ! On a les mains collantes et noires (car le mûrier noir tâche plus que tout ) . On rigole bien , la baboushka dit qu'on est comme des gamines et c'est vrai ! Quand je vois ,en fin de promenade  , Helena cueillir une cerise amère et se l’écraser sur les doigts je ne peux m’empêcher de grimacer ce qui la fait marrer et émettre un petit  « tse tse » puis  ajouter : «Tu vas voir !» Plus tôt , elle  a déjà cueilli une sorte de romarin sauvage au sol en se régalant d’avance des infusions qu’elle fera avec. Alors je me dis que la copine est très  « Nature et Découverte »  et que c’est un truc de forum pour quinqua verte etc… 

Pour ma part je sors de mon sac à dos et de la poche la plus accessible une lingette qu’elle dédaigne en souriant et en rajoutant  un nouveau tse tse .. il est évident qu’elle désapprouve et se moque. Helena continue de faire couler du jus de cerise amère sur ses doigts on dirait qu’elle sest tailladé la paume et qu ‘elle saigne  abondamment . Je commence à me demander si elle est pas un peu originale ?  Ensuite elle prend un mouchoir en papier pour éliminer le jus rouge ….et ignore mon : « Ah tu vois t’as quand même besoin d’un bout de papier ? » Sans se démonter elle me répond qu’il faut bien enlever le pigment rouge et que seule la rhubarbe ou le citron pourrait l’absorber : 
« Et tu vois de la rhubarbe là autour ? Du citron ?   
- Ben non ... » 
Jen reste à ma lingette si peu écolo ( je sais) . Helena sifflote sourire au lèvres ...

Et elle avait raison ...Je n’en mène pas large  plusieurs heures plus tard au restau ... qu’on peut qualifier de chic. Helena très espiègle exhibe sur la nappe blanche des mains immaculées . Pour ma part...j’ai les mains zinzolines , les bouts de mes doigts semblent avoir été frappés au marteau et je suis fascinée par leur bigarrure noire, pourpre…pas beau à voir , pas chic du tout ! Helena a l’élégance de ne plus sourire ! 

Un jour,   le professeur passionné et si accueillant du département de géologie de l'Institut des Mines , Valerii aux si beaux yeux (je sais ça n'a aucun rapport ..mais quand même !) , bref Valerii m’expliquera que oui le sol est riche en Ukraine . Et que parmi les plus de 300 minerais connus, certains sont un véritable coup de pouce  pour les plantations ! . Comme dans cette conversation traduite j’entends prononcer le mot « radiation » je demande si cela peut expliquer la taille de certains concombres,  arbres , fraises et choux croisés partout en ville et là il me répond : « Ah non ça c’est Tchernobyl ! » 

Silence mi gêné, mi amusé de la petite assemblée ....Mais le professeur Valerii aime la plaisanterie et tout le monde de ricaner  ! Il a tout de même essayer de me faire croire que la couleur des fraises venait de l’Hématite le minerai de fer si rouge dès qu’on le grattouille  et dont on fait un pigment ...

Bref concernant ce mot échappé et intrigant de « radiation » je nen saurai pas plus. Avec des profs j’ai abordé la question de la pollution sur la ville , et deux d’entre eux ont répondu spontanément et en même temps . Lun dit  :   «  Oui on a de la pollution »  et l’autre répond : « Non ça va ici ! » Et très vite ils échangent un regard accordé qui invite à ne pas poursuivre sur le sujet. Pourtant  du haut de l’une des carrières un soir au couchant  jai bien vu les larges volutes noires planer et s’étirer au dessus de la ville . Pendant tout mon séjour dans ce bassin minier de 100 km de long , sur toutes les questions abordant  l’environnement et de possibles  pollutions je n'ai reçu que peu de réponses claires …Même Irina qui travaille depuis toujours dans mines et carrières dit que c’est dangereux de respirer toute cette poussière et en même temps me répond que personne n’est malade à Kryvyi Rih ? ! 

Au centre ville , près de  MacDo et dun centre commercial miteux à moitié vide,  lhôtel Aurora accueille tout ce que la ville reçoit de visiteurs «  normaux » . Ce sont les ingénieurs , les hommes et femmes d’affaires liés aux mines et à la métallurgie, et aussi quelques starlettes ukrainiennes ou même étrangères de passage ... Un français abordé dans ce lobby que je trouve très très moche  (lhôtel pas le frantzsouskyy) na pas mordu à mon accroche du genre :  « Allez , entre compatriotes assez dingues pour venir ici , vous allez bien me raconter ? »  Aussi sympa que méfiant , il a  smashé toutes mes questions …Et ça a été comme ça avec tous ceux que j’ai croisé et qui bossent de près ou de loin pour l’une des exploitations minières ou la métallurgie. Surtout ceux qui bossent pour Arcilor Mittal : MUETS ! J'ai abandonné. 


L’un deux avant de piger que je n’étais ni géologue ni une collègue m’avait tendu la main en plaisantant : 
« Pollueur payeur en Ukraine et vous ? » . J’ai raté mon coup , mon intérêt était trop visible et j’ai voulu être honnête en lui parlant de mon projet d'écriture …Il a claqué des talons en me disant gentiment que aller sur les sites d’exploitation pouvait conduire en prison ! Ce que Maxim mon guide dans lun des premiers site historiques de ce bassin exploité dès la fin du 19ème , confirme . Chasseur de pigments pour le marché russe et principalement les restaurateurs ou créateurs d’icônes , Maxim sest retrouvé plusieurs fois au poste , obligé de payer , il est désormais fiché et craint surtout les "amendes". C'est pour ça qu'il était devenu si pâle (malgré les coups de soleil!)  quand les chiens et les deux gars costauds de Mittal nous sont tombés dessus  ! 

Voir album photos https://www.facebook.com/4717Nord 

Kryvyï Rih balance donc entre verte cité et mine géante ...entre rouille et fleurs ...C’est ainsi le long des filons, des traces de minerai de fer et désormais d’uranium vers le Nord . Krivoy Rog / Kryyvyi Ryh balance entre patrie Ukrainienne et amitié sinon parenté Russe . Ici on répond le plus souvent à toute question par un consensuel 
« moitié moitié » qui me laisse un peu perplexe et même frustrée. Pauvreté ? Pollution? Salaires ? Peur de la guerre ? Egalité des sexes ? Maïdan ? Le nouveau Président ? L’époque soviétique ?  :  «  Moitié moitié ! » 
Kryvyï Rih une mine gigantesque , un jardin immense ...