28 octobre 2013

Réussir un week-end à la campagne !

Récit détaillé d'une virée banale à la campagne...

Comme tous les citadins du monde ,  les habitants d'Oulan-Bator aiment s'échapper pour un week-end à la campagne quand ils le peuvent . Et de plus en plus , à moins de trois heures de la capitale Mongole , des ger  sont acquises ou louées . Les mongols n'aiment pas le mot yourte et lui préfère celui de ger qui désigne la maison tout simplement !

Pour réussir  un week-end à la campagne, un certain nombre d'ingrédients sont  indispensables. Une poignée d'amis de longue date , en couple de préférence, c'est important pour les trémolos du karaoké. Plusieurs kilos de viande congelée, et quelques légumes (pommes de terre et carottes) ; autant de kilos de bonbons que de viande ; des mandarines et des fruits secs et des sachets de piment et de pickles. Le tout acquis au pas de course au marché tôt le matin du départ ...trop tôt ! Je l'ai déjà dit ces femmes ont une pêche !
Ah j'oubliais les bouteilles plastiques d'eau APU , la  bouteille de Cherry , celle(s)? de Vodka et le lait de jument fermenté , fait en ville , secoué à la maison non pas dans une peau de bête comme autrefois mais dans une bouteille de Fanta de deux litres (sans le Fanta) que chacun retourne à tour de rôle et  qui garde (d'après mon observation) toutes ses qualités euphorisantes (sinon enivrantes) !

Il faudra aussi une jeep pour pour traverser la dernière rivière trop profonde et pas encore assez gelée pour être franchie à pied . La jeep permet aussi de porter toute la nourriture qui autrement aurait été répartie sur les épaules de chacun !  Il faut  de bonnes chaussures de marche pour les deux derniers kilomètres à pince dans la neige durcie tombée il y a peu. Cela dit l'élégante Dawa était en bottes de ville à talons fins et elle est bien arrivée !
On m'avait prévenu : "Si il neige à nouveau on sera peut être bloqués plusieurs jours !"  Je l'avoue je n'aurai pas tenu le rythme !

A la campagne la ger a été préparée par le jeune couple parents du frère jumeau du mari d'Algirma (oui je sais encore l'une de ces coïncidences qui ont accompagné mon séjour mongol ). 
La yourte au sol de lino balayé, est chauffée, le poêle est brûlant et on ne s'en approche pas trop. Tout comme on ne traverse pas la yourte n'importe comment. Ce n'est pas grand, c'est un peu modernisé  mais les traditions et les règles sont à respecter .  Le poêle est équipée d'une énorme bassine en fer blanc grasse et malodorante à souhait. Cinq grands lits hauts,  en sapin fait maison,  sont recouverts de couvertures synthétiques motif léopard.  Par délicatesse pour moi je pense - j'ai dû laisser voir mon nez se contracter -  les amies vont frotter la marmite géante  dehors avec du papier journal !

Tout l'opération de préparation du repas va prendre du temps et donc  on parle , on rit , on sirote ...On va chercher de l'eau dans la rivière au bord d'un sous bois jonché d'excréments d'animaux.  Si je mentionne cela c'est que ces bouses  ont eu , et ont encore leur importance au quotidien . Secs,  les excréments d'animaux sont un combustible indispensable. Quand on a marché dans la petite forêt je n'ai pas entendu les parents dirent aux enfants "attention ou vous mettez les pieds" ..bon j'ai un peu fait gaffe à mes pas quand même...
On prépare sans se presser  le repas et Nara ne cesse de me proposer à manger, grignotage avant les choses sérieuses...Adolescente ,  elle et les mongols de notre génération ont connu la faim en ville . Aujourd'hui les magasins et les étals des marchés débordent de produits alimentaires manufacturés en Chine, Russie et Corée.  J'ai dû , en faisant nos courses, supplier les amies de ne pas gaspiller leur argent pour moi en céréales, en boissons énergisantes, ou en gâteaux dégoulinants de couleurs fluo en sachets de vitamines etc...

Notre poêle chauffe au bois de bouleau et d'épicéas , ça sent bon .  Les hommes ont coupé la viande congelée à l'aide de gros couteaux affûtés comme des lames de rasoir (j'en fait l'expérience en faisant la vaisselle ) ...il y a du mouton sur la planche à découper , des intestins , des côtelettes et d'autres viandes ...Ça va cuire plus d'une heure pendant le long apéro au lait de jument fermenté ... On garde la vodka en digestif...et pour les retours de balades.
Les  patates/carottes sont ajoutées en fin de cuisson , de même que le sel jeté tout à la fin. Je n'ai pas vu Algirma , chef cuisto, ajouter des épices ou des herbes. Nara suce souvent par petits morceaux  du lait séché , une friandise un peu jaune , dure , naturelle et  bonne pour nos os de cinquantenaires parait il ! Pendant le week-end la nourriture  sur la table de la ger est restée accessible et grignotable à chaque instant et  pour tous. On a jeté aux chiens par la porte de la yourte des os nettoyés, il m'a semblé voir les chiens faire la gueule et les entendre nous traiter de morfales.

Personne ne parle anglais , sauf :  "Paskal eat " (Paskal , mange !  ) ;  je ne parle pas  mongol , au bout d'un mois ici,  je m'emmêle encore entre merci et au revoir - bairtlaa et bairté - mais qui a dit qu'il fallait  parler pour se marrer ?   A la fin du premier gueuleton , je refuse tout alcool et dessine dans mon carnet de notes  (enfin je tente ) un corps humain avec tous les organes intérieurs dont le foie pour expliquer qu'une vieille hépatite m'empêche de boire ! Autant le dessin fait s'étrangler Pujin qui se tape les cuisses ,  autant leurs regards se chargent de compassion et de pitié quand ils comprennent que NON je n'avalerai pas le moindre gramme ! Je trinque en trempant une lèvre , merci du conseil Marc! Et j'accepte en souriant (feinte)  le morceau de mouton bouilli choisi à la main dans le plateau sur lequel on a étalé toute la viande cuite ...La main droite  de Puljin , l'aîné de nous tous,  m'offre la plus belle côtelette de bon coeur ...mes amis ne sauront jamais  à quel point cela m'a couté et comme je suis gênée de ne pas avoir accepté toute la nourriture offerte si généreusement ! Mais je dois avouer que si ce n'était le goût du mouton qui m'a toujours rendue malade , la cuisson parfaite de la viande m'aurait régalée !
Eux ont eu la délicatesse de ne pas montrer de ressentiment ni de me faire le moindre reproche.

En milieu d'après midi , on a tous les joues rouges et on s'est déshabillés un peu  dans la yourte surchauffée...Je n'ai plus désormais que trois épaisseurs au lieu de 5 ! Et quand je tente une sortie pour prendre l'air et chercher les toilettes , je me fait gentiment retenir par le bras puissant de Batjar qui me fait rhabiller ; j'ai oublié que dehors à 14h  il fait moins 5° ! Pas très froid mais suffisamment pour se couvrir un peu .  Je les laisse un moment seuls , le temps de trouver un coin de nature plutôt que la cabine WC peu accueillante derrière le tas de bouteilles de plastique qui sera brûlé plus tard avec le reste des déchets ...Le problème c'est ça ..la ville apporte jusqu'ici un tas de merde que personne ne  rapporte à la ville...
L'électricité  a été installée depuis  peu et les fils courent sur des poteaux de bois fixés par des lanières de caoutchouc (pneus recyclées)  à des dalles de béton plantées dans le sol : fascinant système D. Indispensable  courant pour le karaoké !
Je m'arrête de marcher un peu plus loin ,  là ou l'électricité n'arrive plus . Pour avoir enfin l'impression de toucher à cette nature mongole qui fait tant rêver et que je n'ai pas cette fois choisi de découvrir !

Un peu plus tard, je provoque de nouveau  le rire éclatant de mes hôtes : eux étaient partis prier vers le haut de la montagne et moi partie galoper avec Altar et le jeune fermier du coin ...A mon retour ils sont encore dans la forêt et  le feu est en train de s'éteindre dans la yourte. Je le rallume sans trop de difficulté mais la fermière voisine accourt car le conduit de cheminée s'est affolé et la yourte fume du noir ...Elle ouvre la porte de la yourte en grand , la fumée s'en va et elle ramone un peu le poêle que j'ai trop chargé d'un coup , ça brûle drôlement bien là-dedans ! J'ai encore provoqué un regard désolé et  bienveillant à la fois et...un nouveau sourire d'amusement !

Là ou ça c'est compliqué c'est quand j'ai voulu ranger le bazar de la yourte et faire la vaisselle ...Je ne me suis jamais sentie aussi empotée : les tasses , les petits verres à liqueur, les couverts , couteaux et cuillères , les assiettes tout est gras, la yourte  froide a figé à moitié  les aliments et les fonds de liquide (sauf la vodka mais de toute façon y'en avait plus une goutte dans les verres) . Il n'y a évidemment pas d'eau chaude au robinet, puisqu'il n'y a pas de point d'eau courante dans la yourte ni autour d'ailleurs  ! Je vise une marmite vide et y jette tous les couverts, j'ajoute  les petites assiettes de faïence à fleurs et me dit (oh lueur d'intelligence) que les verres auront droit à une autre marmite ... Je ressors chercher de l'eau dans le seau en plastique dehors (l'eau rapportée de la rivière) . Accroupie sur la neige , il fait encore un peu jour mais la lumière décline ...je verse pas mal d'eau sur les couverts sales dans la marmite et ....regarde fascinée... la bouche ouverte comme une idiote .....ma marmite changer de physionomie : chacun des couverts et des petites assiettes est prisonnier en quelques secondes d'une couche plus au moins fine de graisse durcie,  blanche comme la neige , et que mes doigts ne parviennent pas à enlever .  On a pas de sopalin , juste du papier journal et encore moins de produits à vaisselle ...je tente à la main et avec mon petit couteau suisse de gratter avec le numéro du journal local de juillet dernier et je me retrouve avec des mains à faire pâlir  un ramoneur ou une pub pour Neutrogena ! Je sent la honte me foncer dessus ! Mon cerveau s'affole et je regarde la campagne déserte et très silencieuse autour de moi ! Hello ? Quelqu'un a une idée ?

Ok...l'eau chaude ! Je peux en faire chauffer sur le poêle  mais ...bon allez je vous le dit ...j'ai cramé le fond de la casserole qui n'était pas prévue pour ça, j'ai rouvert la porte de la yourte en grand et ... c'est à ce moment là que la joyeuse troupe est sortie du sous-bois ....! Ah , ils se sont marrés mais marrés , ils n'ont pas pleuré la casserole trouée, ils l'ont juste balancée dehors ! Ils m'ont trouvé super d'avoir commencé la vaisselle alors tout le monde s'y est mis ...Les copines avec des gestes sûres ont fait chauffer l'eau dans la bonne marmite, on retrouvé un fond de produit à vaisselle dans le carton qui portait la bouffe et que je n'avais pas osé,  ni pensé , fouiller ....Les verres et les  tasses ont été  rincées en premier pour faire circuler à nouveau le lait de jument et la vodka ....indispensables pour faire une bonne vaisselle ....

Mais tout ça c'était avant ...le drame  ! "Paskal ...Ok  Karaoké ?"  Algirma a dans la voix un petit rien de moquerie ...la toujours de bonne humeur Algirma est en train de perdre ;  je suis en train de la "lessiver" (vengeance) aux dominos mongols !  La nuit est tombée depuis un moment et les hommes sont je ne sais où ...Nous les femmes on joue . Il existe plein de jeux de société et je suis ravie de pratiquer ce que j'avais admiré au Musée , le jeu de dominos est aussi un jeu de gains et mon paquet de billets de cent et de bonbons gagnés avec la chance des débutants fait l'admiration de tous. Mais les hommes reviennent et il est temps de passer aux choses sérieuses...Entre temps on a encore fait griller quelques lamelles de porc arrosées de sauce au piment et coincées dans une feuille de salade ...
Tout le monde s'habille et je suis déçue de quitter la yourte , on me dit de me couvrir car on va dans le corps de ferme en brique de nos hôtes un peu plus loin ...C'est mon sympathique et jeune ami de cavalcade qui a construit sa ferme un peu de guingois mais grande . Deux pièces pour sa petite famille , une cuisine et  une chambre avec armoires , coffres en bois peints et lits ...on y dort , on y mange, les enfants jouent là. Et à côté  la salle de Karaoké !


Dehors sur le mur reposent les selles fabriquées maison , dedans un grand écran plat et la sono qui va avec permettent de chanter les derniers tubes mongols ou les vielles mélodies russes et quelques chansons chinoises et coréennes . Le tout  répertorié dans un énorme catalogue plastifié ....Un grand moment que ces duos chantés par chacun des couples , Dawa chante merveilleusement bien, son grand et costaud mari aussi d'un voix douce... Nara et Enhtaivan suivent la cadence ...Algirma et Batjar sont des habitués ...Les petites filles dansent et frappent des mains ...J'aurai pu chanter avec le frère de Batjar me dit on .....Quel bonheur de ne pas lire le cyrillique ! Je suis donc spectatrice et ça me va parfaitement ...Mais horreur notre hôte a repéré une chanson française et tous de me vouloir "sur scène" le micro nasonnant à la main ! J'ai déjà joué le joker (sincère) de l'hépatite virale pour excuser ma sobriété . Je ne vais quand même pas redessiner le corps humain,  ma gorge , mes cordes vocales déjà opérées pour cause de nodules aphonisants et mon larynx totalement incompétent en matière musicale ! ? !

Il y a un Dieu pour les voyageurs en difficulté : une très heureuse et  momentanée panne d'électricité est alors tombée sur notre coin de campagne ! Et quand le son et la lumière sont revenus mon jeune ami cavalier et sa femme  avaient décidé de me dédier une chanson du Nadam (grande fête nationale dans laquelle la course à cheval tient une place énorme). La chanson a été  reprise en coeur par tous,  petits et grands et  j'ai même fredonnée le refrain imitant le cheval au galop ! On avait  oublié Edith Piaf que j'aurai massacrée ...  J'avais par respect pour notre grande chanteuse nationale profité du noir pour tourner la page du catalogue et  repousser  "La vie en Rose"  loin de moi !

La fin du séjour à la campagne s'est poursuivi au même rythme ...Je vais en garder un excellent souvenir  , on a bien rit ! Sentiment sans doute partagé par la bande d'amis qui a de concert décidé qu'on se retrouverai tous mardi pour la veille de mon départ et pour.... une grande bouffe  à Oulan-Bator...


A suivre